XIII
À présent, les six hommes galopaient à travers les couloirs. Morane allait sans crainte de se tromper, car la partie de la base qu’ils traversaient maintenant lui était parfaitement connue et il se dirigeait vers l’endroit où, il le pensait, Bill Ballantine et le professeur Clairembart devaient être retenus prisonniers.
Tout à coup, à un croisement de galeries, une douzaine d’hommes apparurent. Il s’agissait de pirates car Morane en reconnut plusieurs, et parmi eux Tchen et Kiou. Ils avaient été selon toute évidence surpris dans leur sommeil par le major Briggs et ses plongeurs, car ils étaient soit en slip, soit en chemise ou autres tenues sommaires. Plusieurs d’entre eux étaient armés d’automatiques. En apercevant Bob et ses compagnons, ils s’immobilisèrent, indécis.
— Jetez vos armes ! hurla Morane. Vous n’avez aucune chance… Vous êtes pris entre deux feux.
Cet avertissement ne parut pas être entendu par Tchen qui, rapidement, braqua un revolver sur Bob et tira. Le Français eut juste le temps de se jeter de côté, et il entendit le projectile miauler à son oreille en ricochant contre la muraille. Mais lui aussi avait ouvert le feu et tiré une courte rafale. Atteint au bras par une balle, le lieutenant de Dimitri Tchou lâcha son arme. Les autres pirates, voyant les mitraillettes braquées sur eux, prêtes à cracher leur maillechort, l’imitèrent.
— Vous ne saviez donc pas, Tchen, fit Morane en riant, que l’on ne tue pas un mort.
— Les Négritos vous ont donc manqué ? demanda le Chinois avec colère.
— Vous venez de faire la même chose, répondit Bob. Ne soyez donc pas jaloux.
Et, durement, il enchaîna :
— Où sont mes amis ?
Tchen dut comprendre qu’il était inutile de résister.
— On les a mis dans le cachot où vous avez été déjà enfermé en leur compagnie, dit-il. À notre retour, Mister Ballantine a refusé de collaborer avec nous, et le patron l’a condamné au secret, ainsi que le professeur, afin de briser leur résistance.
— Que deux de vos hommes s’occupent de ces misérables, fit Bob en se tournant vers le lieutenant Fraine. Nous allons libérer mes amis…
Quelques minutes plus tard, il s’arrêtait devant la porte de cette geôle que lui-même connaissait par expérience. Il demanda très haut :
— Bill, professeur ?… Êtes-vous là ?
Une double exclamation lui répondit.
— Le commandant !
— Bob !
C’était selon toute évidence les voix de Bill et du professeur.
— Couchez-vous à plat ventre, cria encore le Français.
Je vais faire sauter la serrure…
Il attendit quelques secondes, puis il braqua sa mitraillette et tira une longue rafale. Le bois de teck, arraché autour de la serrure, vola en éclats et un coup de pied paracheva la besogne.
Le battant repoussé, Bill Ballantine et le professeur Clairembart jaillirent du cachot en clignant des yeux pour avoir été longtemps condamnés, à une obscurité presque totale. Cela ne les empêcha cependant pas de reconnaître leur ami.
— Bob ! lança le savant. On vous croyait mort, d’après ce que Bill avait dit…
— Je pensais que vous aviez été tué par les Négritos, déclara à son tour l’Écossais.
— Un autre aurait peut-être eu le crâne fracturé, fit Morane, mais j’ai la tête dure.
— Comment avez-vous fait pour arriver jusqu’à nous ? demanda Clairembart.
— Ce serait trop long à raconter pour l’instant… Mais vous, que vous est-il arrivé depuis ma disparition ?
— Quand je vous ai cru mort, expliqua Ballantine, j’ai refusé, une fois de retour ici, de piloter l’Oiseau de Feu. Alors, le Requin Chinois nous a fait mettre au secret dans ce cachot, jusqu’à ce que je change de décision.
— Le Requin Chinois ! ricana Morane. Étonnant que nous ne l’ayons pas aperçu. Peut-être, après tout, a-t-il le sommeil dur.
Et s’adressant à Fraine, Bob continua :
— Venez, lieutenant. Peut-être avons-nous encore une chance de prendre le squale dans son trou.
Ils atteignaient la rotonde sur laquelle s’ouvrait le logis de Dimitri Tchou, quand celui-ci apparut soudain. Il avait pris soin de se vêtir et tenait un gros automatique entre ses doigts boudinés. En apercevant Morane, Bill, Clairembart et les commandos, il braqua son arme dans leur direction et ouvrit le feu, les obligeant à se mettre à l’abri. Sans attendre, il tourna les talons et se mit à fuir. Levant sa mitraillette, un des soldats le visa soigneusement mais, de la main, Bob abaissa le canon de l’arme.
— Non, il nous le faut vivant !
Comme le Requin Chinois allait disparaître dans une des galeries débouchant sur la rotonde, Morane lui cria :
— Rendez-vous, Tchou !… Vous n’avez aucune chance.
Pourtant le gros homme ne parut pas entendre et disparut.
— Poursuivons-le, décida Bob. Il se fatiguera avant nous… Essayons seulement de ne pas le perdre de vue.
Suivi par les commandos, Bill et le professeur, il s’engagea dans le couloir emprunté par le Requin Chinois. Ce dernier avait pris un peu d’avance. Il se retourna à nouveau pour tirer, mais Morane l’interpella à nouveau.
— Que ferez-vous quand votre arme sera vide, monsieur Tchou ?… Nous courons plus vite que vous et vous savez bien que, dans la direction où vous allez, il n’y a pas d’autre issue que le tunnel sous la mer.
L’Eurasien s’était arrêté pour faire feu, mais il ne pressa pas la détente de son arme.
— Vous avez raison, commandant Morane, cria-t-il, que ferai-je quand mon arme sera vide ? J’aimerais tant garder ma dernière balle pour vous !
Il se remit à courir. Pourtant, il ne devait pas atteindre l’autre extrémité de la galerie, car des silhouettes venaient d’apparaître, lui barrant le passage. Les silhouettes de six hommes vêtus de combinaisons isothermiques.
— Le major Briggs et ses plongeurs ! dit le lieutenant Fraine.
— Oui, le major Briggs et ses plongeurs, approuva Morane. Cette fois, notre Requin Chinois n’a plus aucune chance de nous brûler la politesse… s’il lui en restait une !